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Les Moutons Noirs
11 août 2014

La Douleur Physique

Epictète, stoïcien romain de l'Antiquité, aurait déclaré à son maître qui le torturait : "la jambe va casser". Et une fois qu'elle cassa en effet, d'un ton calme, aurait ajouté : "je t'avais prévenu".

 

Je ne voudrais pas donner l'impression d'une interprétation finaliste. Certaines phrases affirmatives (avec utilisation du présent de vérité générale) et les expressions comprenant "permettre" ou "servir" ou tout autre mot s'en rapprochant sont présents dans une dimension et une finalité philosophiques. D'un point de vue scientifique, les différents aspects de la douleur sont aujourd'hui présents grâce à l'évolution et à la survie de ceux qui présentaient les caractères répondant au mieux à ces mêmes finalités qui semblent les plus adaptées à la conservation de soi.

 

La Douleur est scientifiquement parlant un avertissement déclenché par la voie nerveuse de notre corps afin de nous amener à protéger et soigner la zone concernée.
A partir de cela, nous pouvons éloigner toute remarque inutile, telle "mais pourquoi que la douleur elle existe-t-elle alors que ça fait pas du bien ?". La douleur existe pour notre plus grand bien au contraire, pour notre plus grande sécurité, pour permettre la conservation de soi. Nous ajouterons à cela, pour convaincre les plus réticents, qu'il existe une maladie impliquant une absence totale de douleurs : les personnes atteintes peuvent alors poser leur main sur le fer à repasser, se couper, saigner, sans rien ressentir, mais également sans s'en rendre compte. Elles peuvent se consumer sans s'en apercevoir, négliger involontairement des soins qui devraient être apportés en vitesse, et pire encore, ne pas avoir conscience du danger d'exposer son corps aux blessures, n'ayant jamais pu associer le déplaisir avec l'offense physique.

La question qui se pose serait en fait : pourquoi la douleur est-elle si désagréable ? Voire même, la douleur est-elle réellement désagréable ?

Tout d'abord, répondons à la première question, en admettant dans un premier temps que la réponse à la deuxième est oui.
La douleur est un avertissement. Pourquoi ne pas allier l'avertissement avec le plaisir ?
Le plaisir est une sensation extrêmement recherchée par l'homme. Tellement recherchée, qu'il oublie parfois dans sa quête les probables futures conséquences de ses actes (applications : de tout type de drogue, en passant par la boulimie, voire en allant jusqu'à l'assassinat...). Ainsi, en associant blessures et plaisir, on ouvre la porte à l'autodestruction (en étant peut-être un peu hyperbolique) de l'humanité (à laquelle je ne mettrai pas de majuscule). Quelle direction les événements prendraient-ils si se couper une jambe était une partie de plaisir ? Le sérieux de l'être humain n'est pas assez important pour lui permettre d'apprécier le fait d'être heurté : il en abuserait. Prendre soin de lui sous l'élan d'une initiative et au prix d'un déficit de plaisir serait une responsabilité bien trop lourde.
Conservons alors cet aspect désagréable de la douleur. Pourquoi lui donner plusieurs palliers ? Pourquoi ne pas se contenter d'une sensation minimale de la douleur pour chaque type de blessures ?
Pour des raisons principalement pratiques. Nous avons appris depuis longtemps à laisser passer un mal de tête gênant, et à prendre en main rapidement une rage de dents. La douleur est proportionnelle à la gravité de l'infection (dans la majorité des cas) et nous permet ainsi de réagir en conséquences. De plus, une douleur vive nous marque : il en résulte, d'une part, une réaction rapide qui nous permet de nous éloigner le plus promptement possible du danger (par exemple, notre main, commandée par les réflexes, ne pourra qu'effleurer une tasse brûlante), et d'autre part, associer certains événements avec de fortes sensations nous permet de redoubler d'attention lors d'une prochaine expérience similaire.
Mais les douleurs ici concernées sont les douleurs vives, qui surgissent de manière brutale et sont souvent inattendues, mais s'en vont rapidement. Il existe aussi les douleurs lourdes, lentes, qui pèsent, nous oppressent et s'allongent dans le temps, et qui correspondent davantage à un malaise. Si celles-ci sont parfois moins redoutées (on accepterait volontiers un mal de ventre intense de quelques heures pour éviter d'avoir à mettre sa main au feu ne serait-ce qu'une demi-seconde), elles n'en sont en réalité pas moins redoutables : nous nous sentons piégés dans notre propre corps, et nous désirons même parfois nous infliger une douleur vive pour pouvoir oublier une seconde la première (paradoxe remarquable). Le fait est que les douleurs lourdes nous font moins peur, car la sensation de déplaisir est (la plupart du temps) moins intense que lors d'une douleur vive. Nous éprouvons d'ailleurs beaucoup de mal à nous infliger nous-mêmes ces douleurs vives (ne serait-ce que pour enlever un pansement !) : nous en revenons au processus nous permettant d'enregistrer l'intensité d'une douleur afin de ne pas se refaire piéger au deuxième tour.
Mais alors, pourquoi ces douleurs lourdes ?
Ces dernières, plus qu'un avertissement, nous indique l'état dans lequel se trouve notre corps. Lorsque nous avons un problème digestif, il semble plus efficace que la douleur s'étende jusqu'à ce que celui-ci disparaisse : si ce n'était pas le cas, si une simple douleur vive marquait le début d'une crise au foie, et que celle-ci ne se prolongeait pas dans le temps, jamais nous ne saurions si le traitement a été réellement efficace ou non, si nos organes sont rétablis. La douleur lourde trouve donc également toutes ses justifications.

Mais voilà qu'une question - moins fréquente - s'impose, et en implique une autre. Qu'est-ce que la douleur ? La douleur est une sensation, une émotion, une réaction psychique... La douleur se ressent, mais la douleur semble abstraite, nous ne pouvons la saisir, et la décrire avec précision. A ce semblant de définition nous rajouterons l'aspect désagréable dont nous avons traité plus haut. C'est à ce niveau que la question qui nous intéresse demeure. En quoi la douleur est-elle désagréable ? Puisque la douleur est une sensation, et qu'une sensation est subjective, qu'elle dépend et se rattache au sujet, en quoi serait-elle universellement désagréable ? En quoi ce ressenti psychique nous blesse-t-il tant alors que ce n'est qu'un ressenti, quasiment une impression ? Qu'est-ce qui nous permet de qualifier la douleur de "désagréable" alors que celle-ci est subjective ?
Nous pourrions tout d'abord nous dire que nous ressentons la douleur comme une gêne, un malaise, car nous sommes conditionnés ainsi, car dès l'enfance, on nous apprend à associer l'émotion que nous ressentons lorsque nous nous blessons au danger, à travers les cris, la peur que l'on peut percevoir de l'entourage dans une telle situation. Mais il ne semble pas que ce soit le cas. Il semble en effet que les conséquences de l'aspect désagréable de la douleur - à savoir, expression de la détresse, grimaces, cris, pleurs... - soient innés. Ainsi un bébé tout juste né, n'ayant donc subi aucun conditionnement, exprimera la douleur d'une façon similaire à un adulte. La douleur est donc de nature désagréable, cet aspect s'inscrit dans sa finalité.
Cependant, même si la douleur est de nature désagréable afin de répondre pleinement à son devoir de prévention, il semble que cette nature ne soit pas figée, il semble que, de part l'aspect totalement psychique de la douleur, il soit possible d'en changer la perception. C'est ainsi qu'Epictète, cité plus haut, restait totalement impassible à cette sensation, et que d'autres stoïciens comme lui ont également appris à la faire. C'est ainsi également que certaines personnes supportent mieux la douleur que d'autres. La douleur est une perception, dont nous pouvons - plus ou moins - choisir notre propre interprétation, car il semble qu'il nous est possible - bien que difficile - de changer sa nature première. Nous citerons par ailleurs le masochisme, qui, plus loin que l'impassibilité face à la sensation de douleur réalisée par les stoïciens, consiste à la recherche du plaisir dans cette même douleur - concept bien connu par le public en lien avec les pratiques sexuelles, mais le masochisme existe également dans le cas d'une personne recherchant volontairement la douleur morale.

Ainsi, si de part son origine nerveuse - qui implique son caractère psychique -, la douleur physique peut être minimiser à travers l'interprétation que le sujet en fait, la douleur morale, elle, ne partage bien souvent aucun lien de parenté avec le physique. L'origine étant par conséquent directement psychologique, il est bien plus difficile de se convaincre que ce que nous ressentons n'est qu'une impression, comme nous pouvons le faire avec la douleur physique, car cela reviendrait à nier l'origine même de notre souffrance. Et nous sommes d'autant plus impuissant face à la douleur morale - par rapport à la douleur physique - qu'elle implique toujours directement, ou indirectement, l'autre.
J'en conclus donc, à mon humble et petit avis - petit car non influent et impuissant, non pas peu convaincu -, que la douleur physique n'est rien face à la souffrance morale. Mais là demeure un autre sujet.

C'est ainsi qu'il existe aux deux extrémités l'homme heureux, ou du moins, l'homme bien servi, à qui la douleur physique paraît une injuste épreuve, et l'homme qui a perdu, non pas une partie de poker, non pas son porte-monnaie, non pas sa jambe, non pas même son pain, mais qui a perdu ce qui comptait le plus pour lui, et qui par conséquent, s'est perdu, celui pour qui la douleur physique n'est qu'un problème secondaire, voire tertiaire, car elle ne concerne que lui.

"La douleur de l'âme pèse plus que la souffrance du corps." Publius Syrus

 

San, 11 août 2014

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  • Quand Noé a pris des moutons dans son arche, il ne pensait pas qu'ils allaient peupler la Terre au nombre de 7 milliards. Maintenant, ils essayent tous de devenir plus blancs les uns que les autres. Malgré cela, certains se roulent encore dans la boue...
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